15 jours en unité kangourou

15 jours en unité kangourou

Mes enfants sont nés le mardi 11 mai 2021. Nous sommes sortis le 25 mai 2021. Après l’accouchement est venu un peu de douceur.

L’unité kangourou. Cette unité qui vous permet, si votre bébé va bien, de rester avec lui jusqu’à sa sortie. L’unité kangourou est une unité d’hospitalisation et de soins mère et enfants. L’unité accueille les nouveau-nés (à terme ou d’état gestationnel supérieur à 34 semaines d’aménorrhée) avec leur mère, nécessitant des soins dans le cadre d’une pathologie bénigne ou d’une prévention, dans des situations où ils sont habituellement séparés de leur mère (mère en maternité et enfant hospitalisé en néonatalogie). Les enfants modérément prématurés, ou nécessitants des soins particuliers, ne sont pas séparés de leur maman. Ils sont accueillis avec elle dans l’unité kangourou, mère-enfant. Cette prise en charge spécifique maintient le lien parents-enfant en évitant toute séparation précoce.

C’était donc notre cas. Ils n’ont pas eu besoin de soins particuliers. Seulement du berceau chauffant quelques temps, pas de couveuse. Ils étaient petits poids, et devaient être surveillés. L’allaitement me tenait à coeur, il fallait donc que la montée de lait se fasse rapidement afin de voir si les bébés allaient bien reprendre du poids pour une sortie le plus vite possible.

15 jours dans cet hôpital. 360 heures dans 13m2. 21 600 minutes à devenir mère.

Mère, mère nourricière. Mère aimante, rassurante. Mère souriante. Mère hormonale. Mère disponible. Mère vigilante. Mère nouvelle. Mère heureuse. Mère raconteuse. Mère proche. Mère triste. Mère reposée. Mère femme.

Je me souviens comme c’était doux. Ce cocon dans lequel nous étions pendant ces 15 jours. Nous n’avions à penser à rien d’autre, uniquement à eux, et à nous. Le quotidien et la routine nous paraissaient tellement lointain. Pas de machine à lancer. Pas de rangement. Pas de vaisselle ni de sol à laver. Pas de repas à penser et pas non plus de chien à sortir. C’était notre bulle. Celle où le papa a pu rester 15 jours auprès de nous. Où il a pu dormir avec nous, manger, changer les bébés. Être ensemble. Il n’y a que la première nuit, celle du repos avant la vraie vie où il est parti, rentré dans notre maison, seul, bien seul, trop seul. Mais revenu dès le petit matin pour nous retrouver et ne plus nous quitter. C’était ça, 15 jours à 4 dans un endroit inconnu mais accueillant où l’on s’est senti comme chez nous. C’était petit. Mais on avait aménagé cet endroit comme bon nous semblait, en 15 jours on avait eu le temps. De s’y sentir bien.

C’est dans cette même chambre que nous avons changé nos enfants pour la première fois. Que nous avons découvert leurs corps si petits, si minces dans nos mains qui étaient elles, si grandes. Sur nos corps, près de nos cœurs et leurs deux têtes tenant sur nos torses. C’est dans cette même chambre que nous avons vu à quel point les bodys prématurés leur était si grands et les pyjamas aussi. Ils étaient si petits. Nos bébés. Je me souviens avoir appelé mes parents pour leur demander d’aller nous acheter des body en 00M tellement ceux que nous avions pris leur étaient vraiment trop grands. Le 0 et 1 mois que l’on m’avait demandé de prendre dans la valise de maternité ont vite été rangés dans leur armoire (même s’ils se sont très vite rattrapés sur leur taille et leur poids).

C’est également dans cette chambre qu’on leur a donné leurs premiers bains, 4-5 jours après la naissance, enveloppés d’un lange pour ne pas qu’ils se sentent perdus après avoir passé 8 mois dans mon ventre. C’était si émouvant de voir à quel point l’eau les apaisait, à quel point ils étaient biens. Grand yeux ouverts ou complètement clos. Ils etaients déjà si différents l’un de l’autre malgré leur gémellité parfaite.

Puis l’allaitement, la mise au sein, tout le temps pour favoriser la montée de lait. La mienne a eu lieu à J+4 de la césarienne. D’abord le colostrum et très vite le lait. Mais il a fallu de l’aide, beaucoup. Pour bien les placer, ne pas avoir mal. Il y a eu leurs bouches, l’un après l’autre, puis les deux en même temps, sur mes seins gonflés prêts à exploser. Il y a eu le doigt-sonde pour les nourrir avant mon lait, doigt-sonde (petite paille relié à du lait) sur mon téton pour qu’il favorise leur succion ou sur le petit doigt de papa. Il y a eu la crème autour de mes tétons, puis les bouts de seins. Il y a eu les massages, l’eau chaude et froide. Les coquillages. Et enfin la délivrance du lait pour les nourrir n’importe quand.

C’était bon. C’était mon souhait. Mon rêve. C’était là. À trois nous ne formions qu’un dans ces instants hors du temps, où nous trois nous planions complètement. Shootés à l’ocytocine. Leurs odeurs de bébés. L’allaitement ne me faisait pas mal, l’allaitement me procurait une fatigue si bonne que je m’endormais en même temps qu’eux, l’allaitement était accompagné de professionnels si bienveillants et à l’écoute. Il était aussi épuisant, sans cesse, sans arrêt. 45min de tétée pour recommencer très peu de temps après. C’était bon de voir leurs petites têtes accrochées à mes seins comme une drogue auquel dont ne peut plus se passer. C’était bon de voir leurs yeux se fermer, s’endormir paisiblement avec une goutte de lait au coin des lèvres, de voir leurs langues têter dans l’air. C’était éreintant aussi de ne faire que ça. D’avoir des fuites aux moindres pleurs, sous la douche, dans le couloir, en train de manger. C’était ça.

Puis il y a eu le tire lait pour accélérer tout ça et surtout notre sortie. Toutes les 3h. Il a fallu en louer un. Il a fallu comprendre le système. Tirer. Mettre au frais ou congeler. Il a fallu tenir face à cette cadence et eux, accrochés à mes seins. Avec cela s’est en aller ma pudeur. Les seins à l’air pour les nourrir, les rassurer, les soulager, les apaiser, les calmer. Et ce balai incessant d’infirmières, puéricultrices, sages-femmes, médecins, internes. Ils ont vu mes seins plus souvent que mon conjoint, je crois.

15 jours, c’était ça aussi. Ce manque d’intimité. Toquer. Rentrer. N’importe quand. Pour savoir si ça va, moi, les bébés. Pour venir voir les jumeaux, les plus beaux du service. Pour venir vérifier la césarienne. Ou simplement discuter. Pour remettre des anti-douleurs ou observer la courbe des bébés. Pour me donner ce plateau infâme à manger ou vérifier les selles, pipi, quantités de lait des bébés. Pour nettoyer ma chambre où simplement m’observer. Pas évident de rester 1h seuls, en famille, dans ce cocon. Meme si c’était intrusif, parfois mal-venu, parfois nous étions endomis, parfois démuni,s elles/ils étaient tous bienveillants, rassurants. Je ne remercierais jamais assez N. et H. Ces femmes infirmières puéricultrices d’une gentillesse, d’un humour qui sont venues passer des heures dans notre chambre pour m’aider à la mise en place des bébés sur mes seins, pour les bains quand je ne pouvais pas me lever, que ma césarienne tirait, pour venir discuter, m’écouter, me consoler, pour venir rire ou simplement passer alors qu’elles n’étaient pas de service. Merci aussi à la sage femme qui était là, la première partie de mon accouchement, M. et qui est venue me voir pendant ces 15 jours. Je n’oublierais jamais leurs visages, leurs sourires et tous leurs mots.

15 jours, c’est long. Et c’est vrai qu’il s’en passe des choses. Les Uber eats car le repas n’était pas très appétissant. Les repas à se faire livrer. Et à rire. Puis mes parents qui sont venus nous livrer des repas maison. Il y a eu l’anniversaire de Kevin au pied de l’hôpital, un gâteau et une coupe de champagne. Il fallait bien ça, histoire de marquer de le coup, de s’en souvenir. Il y a eu les douches rapides, très rapides. Le caca débordant de Léon sur l’infirmière. Les séries que l’on regardait. Nous, dormant à 4 dans ce lit d’hôpital, mettant les barrières du lit pour ne pas en tomber. Le temps de dormir, de se reposer. Même un peu. C’était bon ce temps. Ce temps à 4, où les visites n’étaient pas autorisées et où l’on pouvait se retrouver ensemble. Les visios étaient là également, et faisaient du bien aussi. La fierté de les présenter à la famille et les amis. Pouvoir les regarder des heures, les avoir à nous, seulement pour nous. Rire devant leur beauté et pleurer aussi. Beaucoup. Devant eux. Devant un repas. Devant tout. Devant rien. Les hormones.

C’était ça pour moi. J’apprenais à être mère en même temps qu’eux apprenaient à vivre dans ce monde extérieur. En riant sans conviction. En pleurant avec conviction. Au moins, je me disais, la grossesse et leur naissance m’avait appris une chose, à libérer mes émotions. Mais non. Ça c’était les hormones et ce sont toujours les hormones. Puis il y a eu aussi les centaines de photos. Sous tous les angles. Pour ne rien perdre. Ne rien louper. Les douleurs de la césarienne, qui me rappelaient vite à l’ordre à vouloir trop en faire. Le berceau chauffant pour réguler leurs températures qui est resté trop longtemps. La balance qui ne m’indiquait n’avoir perdu que 5kg sur les 20 que j’avais pris. Une nuit de repos, où nous les avions laissé à la puéricultrice quelques heures pendant la nuit pour que je dorme réellement, loin de cette hypervigillance qui faisait que le moindre son ou pas me faisait sursauter et m’empêchait de profiter de mes bébés. Les pleurs d’abord de les laisser, eux, si petits. Mais le repos. Puis au petit matin, au moment de les récupérer, un seul bébé. La panique. Pendant cette nuit, ils ont été branchés, pour contrôler leur rythme cardiaque et l’oxygène. Une anomalie a été détecte sur Léon. Son rythme cardiaque était trop bas pour un nouveau-né. Entre 80 et 90. Seulement. Un vrai marathonien. La moyenne est 120 à 140. Ils l’avaient alors envoyé faire des analyses, sans m’avoir averti. Mais à son retour tout était normal. La douleur de ne voir qu’un bébé dans ce berceau double pour jumeau mais le soulagement. Il y a eu aussi tout un tas de questions sur mon accouchement, sur la césarienne, sur la cicatrice qui ne cicatrisait pas, ou très mal, sur moi, les douleurs.

15 jours c’était bon mais c’était dur. Le retour à la maison approche. Nos petites habitudes allaient voler en éclats en même temps que la claque que j’allais prendre en rentrant avec deux bébés. L’allaitement était ok. Les bébés avait repris plus que leurs poids de naissance. Le berceau chauffant s’en était allé. C’était à nous de jouer. Le 25 mai, jour de l’anniversaire de ma mère, on allait rentrer. Enfin. Avec la peur au ventre mais l’excitation tout de même. Carnet de santé donné. Discussion autour de la mort subite du nourrisson et de tout un tas de choses qu’il faut savoir, les vitamines, le lait au cas où, les ordonnances.

Un au-revoir au service et les bébés trop petits dans leurs cosys ou les cosys trop grands pour nos bébés. Direction le grand air, le soleil, direction la voiture, direction notre nouvelle vie à 4. Ensemble. Le stress de ce premier trajet en voiture avec nos deux bébés à l’arrière. 15 jours. Il avaient donc 15 jours. Nous avions 15 jours également. C’était doux. C’était beau. Cette chambre. Ce personnel. Nos enfants. C’était long. Rien ne me prépare à la suite.

Mais ces 15 jours là, c’était le début. Le début de tout. Notre début, dans la douceur et l’inconfort. Loin de chez nous mais ensemble. C’était terrifiant mais l’amour que je leur vouais l’était tout autant.