
Mère au foyer

Mère au foyer. Au foyer, juste ce mot me terrifie. M’a terrifié. Me terrifie peut-être encore un peu.
J’étais de celles qui ne s’arrêtent jamais, celles qui s’épanouissent d’un rien. Je suis de celles qui vivent leur histoire pleinement peut-être même un peu trop intensément. Je suis de celles qui s’investissent. Je suis de celles qui avancent vite. Je suis de celles qui s’ouvrent sans conditionnement. Je suis de celles qui laissent en bouche un goût acide. Je suis de celles qui relèvent les défis et dépassent les épreuves. Je suis de celles qui ne croient pas au hasard. Je suis de celles qui crient. Qui pleurent. Qui jouissent des instants essentiels. Je suis de celles qui s’attachent et prennent sûrement trop à cœur ce qu’il se passe. Je suis de celles qui donnent pour ne rien regretter. De celles qui vivent tout, fort, trop fort, un peu trop. De celles toujours au bord du précipice, du volcan prêt à faire couler sa lave. J’étais de celles proche de l’interdit. De celles qui aiment, aiment l’amour, aiment la vie. J’étais de celles qui étaient passionnées. De celles dont la carrière était si importante, pour se faire un nom. De celles qui gravissent les échelons vite pour se faire une place dans un monde d’hommes, celles qui ne comptent pas leurs heures de travail, qui donnent, tout. J’étais de celles-là. De celles dont la vie se vit à mille à l’heure, dans l’excès.
Ma reprise de travail, je l’attendais tellement. Je voulais sortir de cette sphère infernale, de mon foyer, je voulais redécouvrir mon métier, mes clients, mes collègues. J’espérais que la reprise me fasse du bien, ce bien dont j’avais besoin pour être épanouie en tant que mère, en tant que femme. Je souhaitais la reprise pour retrouver une vie sociale, retrouver une routine autre que celle de mes enfants, qu’enfin elle me sorte de ma dépression post-partum.
Ça aurait dû être un 11 février, mes enfants fêtaient leurs 9 mois, c’était le bon moment.
Femme au foyer, jamais je n’y aurai pensé, j’admirais ces femmes qui restent chez elle à s’occuper de leurs enfants par choix ou non. Mais moi, je ne m’en pensais incapable. Puis je n’ai pas eu le choix, ou le voulais-je peut-être pas ?
Contrainte d’abandonner mes rêves de carrière. Contrainte du fait de n’avoir trouvé aucun mode de garde pour mes jumeaux. Contrainte des horaires de l’hôtellerie et du peu de solutions que l’on m’a proposé pour aménager au mieux ma vie professionnelle et personnelle. Contrainte d’une rupture conventionnelle. Qui voulait dire, rester chez moi. Qui voulait dire mère au foyer. Qui voulait dire tout ce que je ne voulais pas, tout ce que je ne souhaitais pas, tout ce que à quoi je n’aspirais pas. Mère au foyer.
C’était cela, mère au foyer 7j/7 24h/24 chez moi, 7j/7 24h/24 à gérer la maison, mes garçons. Cela voulait dire être tout à la fois. Ordonnée. Patiente. Courageuse. Motivée. Créative. Cela voulait dire être cuisinière, compteuse, changeuse, imaginative, coiffeuse, styliste, taxi, sportive, gestion de crise, femme de ménage, nounou, gestion de parc enfant, et bien plus. Chez soi. Enfermée. Cela voulait dire être réduite, ne plus se rendre utile, subir et intellectuellement ne plus être au niveau non plus. Les discussions avec des enfants de 9 mois sont comment dire : absentes, inexistantes. Le néant.
J’ai accepté le choix. Le choix du sacrifice. Deuxième sacrifice de mère, de femme, celui de rester à la maison, près d’eux et m’en occuper. Le choix le plus dur. Le métier le plus éprouvant. Pour si peu de reconnaissance des autres mais le plus beau, celui du regard de mes enfants.
Quand on dit aux autres, je suis mère au foyer, la conversation s’arrête là. Aucun engouement, aucun mot ne vient après cela. Presque une tare. Je ne voulais pas être réduite à cela. Rendue à l’évidence, j’ai foncé. J’ai pris le taureau par les cornes, ça tombe bien c’est mon signe astrologique, j’y suis allée. Et rien de plus merveilleux que de découvrir enfin qui je suis. J’ai affronté les jours de pluie, les tempêtes, j’ai affronté les jours de grand soleil. J’ai vu leurs larmes et leurs sourires au réveil et je savais pourquoi j’avais fait ce choix. Ils me le rendaient si bien.
Les jours ont passés. Le rythme, l’organisation s’est installée. Tout roule ou presque. Mais j’ai pu tout remettre en question. Ma vie. Mes projets. Mes envies. Mes passions. Mon épanouissement. Mon rôle de mère parfois bancal, parfois idéal, d’une mère toujours aimante. Et j’ai compris, que j’avais grandi. Que la jeune femme qui vivait sur le feu à s’en brûler les ailes, s’était envolée, laissant place à la femme heureuse qui apprécie les petits riens du quotidien, pouvant déployer ses ailes pour enfin prendre son envol, celui qu’elle désire, celui qu’elle a choisi, celui qu’elle mérite.
Sans la maternité, sans être restée chez moi, j’aurai toujours foncé tête la première sans savoir si c’était moi ou les autres qui me poussaient à toujours me surpasser, à toujours tout donner jusqu’à m’en épuiser. Aujourd’hui, je le sais et j’en ai la certitude, aujourd’hui c’est moi, aujourd’hui c’est eux qui m’ont montré le chemin, c’est eux ma plus grande réussite et c’est grâce à eux et à la mère au foyer que je suis devenue que je l’ai compris.
Ma vie a pris un sacré tournant mais au bout du chemin, je sais désormais ce qui m’attend. La vie que je me construis, que j’ai rêvé tant de fois, tard dans la nuit, celle où le bonheur est à porté de main. Celle que je choisi enfin.